Je commence les arts créatifs à l'âge de 8 ans, dans les ateliers de l'artiste-peintre Fabienne Péry. En plus de devenir une maman de cœur, Fabienne sera la première femme initiatrice de mon chemin. Elle m'apprend que...
Lorsque je peins, je crée un monde qui me ressemble et dans lequel je me sens moi-même. Dans le monde réel, c'est difficile... Très vite, je me sens en décalage avec beaucoup d'enfants de mon âge.
Je suis propulsée dans une réalité brutale en vivant un abus sexuel à l'âge de 12 ans.
Ma relation à mon corps devient un terrain miné, au début de l'adolescence. Je développe une maladie qui protège mon intériorité. En prenant du poids, j'étouffe la déchirure intérieure.
En parallèle, l'art continue à œuvrer. J'exprime dans mes travaux ce que je n'arrive pas à dire avec ma voix et avec mon corps.
Je suis entourée par mes amies
Quelques années plus tard, à l'école, je tombe dans une relation qui me détruit à petit feu. C'était mon endroit le plus fragile. Pendant près d'une année, une dynamique de perversion s'installe lentement et profondément. Je perds mon statut de sujet et je deviens un objet. Par une technique de manipulation très fine, au fil des mois, des sévices corporels, sexuels et psychologiques de plus en plus violents se mettent en place. Il a besoin de me voir souffrir pour prendre du plaisir. Je découvre le viol sous de multiples visages. Je ne sais pas encore à ce moment-là qu'il fait partie de ceux qu'on appelle "pervers narcissique". Je suis sous l'emprise d'une relation de dépendance affective qui me fait perdre mon pouvoir et qui anéantit mon âme et mon corps.
A l'orée de la mort, pendant ma tentative de suicide, une flamme en moi me permet de comprendre que j'ai le choix. Si je choisis la mort, la souffrance est terminée, je suis délivrée. Si je suis choisis la vie, ce sera difficile, mais...
Au plus profond du gouffre, je connecte pour la première fois avec tant de puissance à ma force de vie.
Il aura échoué. Jenna, mon amie depuis toujours, m'a sauvé la vie.
Le chemin de reconstruction est long, douloureux, semé de doutes. Je rencontre mes terreurs, mes faiblesses, ma maladie. Mais il y a aussi toujours l'autre côté. Cette force de vie qui m'a poussé plus loin, qui me tient. Pendant cette traversée des ombres, j'ai perdu la foi. J'essaie seulement de me lever chaque jour dans un corps anéanti qu'il faut reconstruire. Je ne sais pas comment faire.
Je commence une longue psychothérapie, qui me permet de mettre des mots sur ce qui est innommable. Je comprends les enjeux psychologiques au fil des séances. Nous travaillons minutieusement sur chaque trauma grâce à l'EMDR. Le plus dur, c'est la dissociation. Les moments où je sors de mon corps.
En parallèle, je commence le rock'n'roll acrobatique. La danse devient un socle et les gens du club sont comme une famille pour moi. Ce sont mes espaces de respiration.
La psychothérapie aura ouvert mon chemin de rencontre avec moi-même et avec l'humanité dans sa beauté comme dans sa monstruosité. Une soif d'apprentissage et d'exploration de l'Être m'habite désormais pour toujours. Ma psy, Marie-Valérie, fait partie des rencontres transformatrices de ma vie. La psychothérapie aura œuvré pour soigner le plan psychologique.
Je recherche des solutions pour soigner le corps, le trauma dans la chair. Je découvre que les déchirures ont un impact sur tous les plans et que nous sommes des Êtres multi-dimensionnels. Je ne réalise pas encore que c'est grâce à la violence de ces sévices que je suis en train de connecter à ma plus grande force.
Pendant 10 ans, je pose nue. Voir mon corps à travers le regard des autres me permet de me le réapproprier, de réintégrer ce qui m'a été volé. Nous créons ensemble le projet artistique "Entrailles" avec mon amie photographe Anne Gerzat, grâce à qui je reprends confiance, par son regard sensible et fin.
J'entreprends la formation des Beaux-Arts de Genève, en bande-dessinée et illustration. Ce métier m'apprend à raconter, il me permet d'affiner mon besoin d'exprimer grâce aux mots et aux images. Je rencontre l'écrivaine Vivienne Baillie Gerritsen, grâce à qui j'illustre mon premier livre, " Le Poète".
En parallèle, je continue à chercher des solutions pour la déchéance qui existe dans mon corps et dans mon cœur. Je commence une thérapie, qui propose des outils tels que l'hypnose.
Lors de la dixième séance, après avoir établi un lien de confiance avec le thérapeute
J'entre dans état de folie, qui assemble paranoïa et crises d'angoisses permanentes. Il n'y a pas de répit. Je n'arrive plus à créer. Vivre devient une expérience où je suis épluchée, à vif, en danger. On me propose l’hôpital psychiatrique mais j'ai peur de l'asservissement par la chimie et l'enfermement. Je pars voyager en Amérique Latine pendant presque une année. C'est à la fois une fuite, une nécessité et un rêve qui se concrétise.
La générosité, le sourire et la simplicité des gens. Les couleurs fortes, la distance avec la Suisse, les risques pris et les solutions trouvées, le nombre de kilomètres parcourus qui permettent de laisser mon histoire derrière, la rencontre avec l'autre, sa déchirure et sa résilience inspirante... Tout le continent insuffle à mon cœur une vibration, un souffle nouveau. Je rentre en Suisse avec moins de peurs et une force renouvelée.
Que faire, à présent ? En impossibilité totale d'être soumise à une autorité extérieure, je me lance en tant qu'indépendante. Nous collaborons quelques mois sur un projet d'entreprise artistique avec Désirée Fluijt, auquel nous devons renoncer, faute de moyens. Pendant mon voyage en Amérique Latine, l'idée de partager la puissance que l'art peut apporter dans nos vies a fait germer mes premiers ateliers artistiques.
Fabienne, qui m'aura non seulement initiée à l'art, puis à la pose nue, me passe le flambeau de ses ateliers alors qu'elle prend sa retraite. Il faut trouver un lieu. J'écris à la commune de la
ville de Gland pour proposer mon projet d'ateliers. La commune est à ce moment justement en train d'ouvrir un espace socio-culturel, partagé par les jeunes et les artistes. Une ancienne école à
rénover pour y faire vivre des projets au service de la population.
Je découvre un amour profond pour l'enseignement, le partage de mes outils et la création d'espaces propices à l'expression de soi. Pendant près de cinq ans, la commune de Gland met à disposition une salle dont je peux bénéficier pour proposer mes ateliers ouverts à toutes et tous. J'y tiens aussi des espaces de parole, puis, par la suite, j'ouvre avec des amis la première épicerie gratuite du canton, grâce aux aliments invendus des magasins, La Pépicerie.
Au fil des années, je suis de plus en plus émerveillée par le lien de confiance qui se crée avec les participant-e-s et le potentiel de transformation que l'art permet, aussi chez les autres. Je continue à chercher des solutions pour apaiser les traumas qui font souffrir mon corps. Je rencontre Ariane Othenin-Girard. Par sa pratique du Toucher Thérapeutique, ses mots, son amour, cette femme m'accompagne à ramener de la vie dans mes cellules.
Le travail régulier avec Ariane me permet de laisser mourir l'ancien et d'accueillir le nouveau dans la matière, dans mon corps et dans ma vie. Son toucher me fait rencontrer ma sécurité. J'apprends à ses côtés sa pratique que je partage aujourd'hui avec beaucoup d'amour.
Les artistes Céline Angèle et Jean Daniel Fricker, lors d'un stage de danse Butô, révolutionnent mon rapport à mon corps. Dès les premières minutes du stage, grâce à leurs propositions de danse subtiles et puissantes, je connecte à un essentiel qui ne me quittera plus.
Leur sensibilité, leur poésie, leurs profondeurs et la liberté infinie qu'ils invitent dans leur enseignement résonnent avec mon besoin viscéral d'être en lien intime avec mon corps, avec ma chair, avec mes os.
C'est comme si chaque geste, dans sa présence, me permettait de redonner vie à ce qui était figé, sali, meurtri. Je peux exprimer pleinement mon obscurité. Depuis, je continue à participer à leurs stages qui enrichissent toujours plus mon quotidien, mon rapport à mon corps et ma relation à l'art.
Lentement, grâce à ces rencontres, je mesure que l'art visuel permet bien des choses, mais cela reste une pratique éloignée du corps. Il y a un intermédiaire entre moi et le monde. Je mesure que l'endroit le plus intime, ce qui parle vraiment de moi, ce qui porte mon histoire, c'est mon corps.
Le chant a toujours été quelque part. Mon père nous chantait des berceuses à la guitare. J'ai joué du piano avec Désirée Fluijt, qui m'encourageait à poser la voix, j'ai écrit et chanté dans différents groupes de musique...
Le silence a été un des poids les plus lourds de mon histoire. Comment poser des mots ? Il y a le déni de l'entourage, la peur d'être jugée, le besoin de protéger, la honte et la culpabilité qui empêchent de dire. Grâce à la danse et au toucher, grâce à l’émergence que cela offre à mon corps...
Le chamanisme s'est présenté sur mon chemin dès mon voyage en Amérique Latine. Le respect de la terre, la relation avec le vivant, la sensibilité par laquelle on entre en lien avec l'invisible, les connaissances ancestrales... Il y a eu plusieurs rencontres qui m'ont amenée sur ce chemin. Les plantes-médecines ont le pouvoir de travailler sur nos multiples plans, elles m'ont permis de restaurer profondément mes cellules.
Je fais un bout de chemin dans ce sens auprès de Pascal Martelli qui a tout de suite vu le potentiel de chant en moi et qui m'a encouragé à prendre ma place avec la voix, pour accompagner ses cérémonies. J'y découvre une palette infinie de possibilités vocales et vibratoires, que je reçois à travers les enseignements des plantes.
J'y découvre combien le chant permet non seulement d'exprimer les profondeurs, mais aussi, de toucher la chair avec la sensibilité, la vibration ou le cri que je choisis de donner.
Je ressens un besoin d'approfondir mon travail avec les plantes, ma connaissance du Féminin et la reconstruction de ma sexualité, dans une dimension consciente et respectueuse.
Auprès de qui je vis plusieurs diètes de plantes, un travail profond qui invite au silence, à la réflexion sur moi et à l'alchimie grâce aux vertus des plantes. Un engagement qui me demande à aller voir mon obscurité en face. C'est lors de ces diètes que je connecte à la suite de mon chemin, à la nécessité de partager au monde tous les trésors récoltés à travers mes ombres. J'y écris mes chants, j'y rêve un lieu pour accueillir celles et ceux qui sentent l'appel de s'explorer, de s'exprimer et de prendre soin.
Une pratique ancestrale qui est transmise depuis la lignée de Marie-Madeleine, qui se vit dans le Temple Sacré d'Isis et qui contribue profondément à mon chemin de reconstruction, de connexion à ma chair et à ma sexualité dans sa plus belle dimension. Je partage aujourd'hui cette pratique avec passion, douceur et amour. D'autres rencontres précieuses arrivent sur mon chemin, me soutiennent et complètent mes connaissances chamaniques. Emmanuel Civelli, Carol Anpo Wi et leurs médecines.
Ma foi se reconstruit. La force de la prière consolide quelque chose de puissant dans mon corps, dans mon cœur et dans mon existence. Je vis une relation intime avec le Christ, qui me donne la force d'aller explorer mes ombres les plus sombres en confiance et qui me réconcilie avec le masculin. Je rencontre aussi d'autres alliés qui me guident au quotidien. Je me sens protégée. Je me sens aimée. Je me sens renaître. Je me sens vivante.
Le fait d'avoir connu la mort sur tous les plans me fait comprendre dans mes viscères
Sauf que maintenant, il y une force puissante et profonde, qui sait déplacer des montagnes.
Soutenue par David Rivera, l'accompagnement concret et sportif m'ouvre de nombreuses portes dans la relation à mon corps. Je consolide ma confiance en moi et je découvre une nouvelle relation à ma chair qui se transforme de jour en jour. Le sport et le jiu-jitsu brésilien me permettent de renforcer mes limites, ma force physique et mentale et crée une structure interne qui se répercute dans ma vie. Mes cellules se transforment à chaque entraînement et je me sens plus vivante que jamais.
En parallèle de tout ce chemin, un lieu précieux qui est à la fois un refuge et un terrain d'apprentissages magnifiques est là, sur ma route. Le sanctuaire Co&xister, ses animaux et mon amie Virginia Markus ont soutenu chacun de mes processus.
Cela a été une évidence d'ouvrir ce lieu rêvé, appelé " La Matrice", à Frenières-sur-Bex, le village où est établi le sanctuaire. La Matrice, dont le nom a été choisi pour rendre grâce à l'organe de l'utérus, puissant dans son potentiel de création. Dans mon utérus, il y a une déchirure. Mais c'est par là que traverse la lumière.
Pendant une année, j'ai eu un plaisir immense à gérer ce lieu dans lequel j'ai proposé de nombreux espaces de créations et d'accompagnements ouvert à chacun-e, allant de 2 heures à 5 jours.
Car tenir un lieu d'une telle envergure nécessite beaucoup de charges, qui amènent une grande pression.
De plus en plus à l'écoute de mes besoins et dans le respect de moi, je crée une qualité de vie faite de lenteur, de repos et de relaxation. Ce sont les critères nécessaires qui m'ouvrent à
l'épanouissement, à la profondeur, à la création et qui me permettent de vivre un don de moi équilibré.
J'ai donc remis ce lieu, ce qui m'offre aujourd'hui beaucoup d'espace pour approfondir la qualité de mon travail et de mon existence. Un besoin de retourner aux racines m'a ramené dans la ville de Gland qui m'a vu grandir en tant qu'artiste et qui me voit aujourd'hui fleurir en tant que femme. J'ai un immense plaisir à y œuvrer auprès de celles et ceux qui souhaitent rencontrer leur corps et le reste...
J'accueille chacun-e qui désire être touché-e dans son cœur et dans son corps, qui souhaite exprimer ses forces et ses vulnérabilités. Chacun-e qui souhaite donner naissance à sa poésie, découvrir la puissance de la douceur, rencontrer la beauté de la lenteur, dévoiler sa sensibilité en toute sécurité. Embrasser son corps et ses multiples dimensions. Qui ressent l'envie de créer, d'exprimer qui il/elle est dans son chaos comme dans sa clarté.
La danse, le chant et le toucher sont les pratiques qui m'ont permis de reconnecter à mon corps, après en avoir été dépossédée. J'ai expérimenté dans ma propre chair l'impact profond et transformateur de ces arts dans ma vie. Aujourd'hui, je continue à me former dans chacun de ces domaines et je suis supervisée dans mon travail. Mon parcours a fait émerger ces merveilles et c'est une grande joie de partager avec vous la puissance et la simplicité de ces outils accessibles à chacun-e grâce à notre plus beau trésor, notre corps.
Si vous souhaitez voir mon parcours en témoignage vidéo, j'ai réalisé un court-métrage ainsi qu'un podcast,
" Des mots sur la déchirure ", que vous pouvez découvrir ici